À son arrivée, le média Internet promettait une toile libre, neutre, ouverte et gratuite. Seulement, après plus de 30 ans d’utilisation, nous sommes forcés de constater que la promesse initiale n’a premièrement jamais été tenue et pire encore, elle semble aujourd’hui grotesque au vu du fonctionnement et de l’utilisation du web moderne. Alors, quel constat doit-on en tirer et surtout, Internet a-t-il encore quelque chose nous proposer ?
À travers cet article, nous allons constater les limites du média internet en ciblant les causes de sa déchéance naissante et les potentielles évolutions qui lui sont destinées.
Mais dans un premier temps, avant de parler d’internet au sens large du terme, nous allons nous intéresser à ce qui nous permet de naviguer à travers différentes ressources web, autrement dit : les moteurs de recherche.
Monétisation et annonceurs : Internet est finalement un média comme les autres
Avec le recul, il est assez amusant de voir le média Internet se transformait en tout ce qu’il était sensé remplacer. Rappelez-vous, à son départ, le web avait pour force de proposer des contenus majoritairement créé par des individus à des fins non-lucratives : des blogs personnels, des sites produits par des passionnés d’informatique ou encore les forums où chacun contribuait à la résolution d’un problème. Évidemment, il n’a pas fallut attendre longtemps avant de voir les annonceurs investir l’espace web et ainsi, changer les règles du jeu.
Depuis 2010, les sites « faits-maison », les forums et les blogs personnels n’occupent plus qu’une infime partie de l’espace web. La place est désormais occupée par les sites e-commerce principalement, mais aussi des presses en ligne dont le modèle économique dépend également des annonceurs. Autrement dit, nous sommes passé d’un web créé par des particuliers pour des particuliers à un web crée par des annonceurs pour des particuliers. Et forcément, cela a complètement transformé la plateforme de manière irréversible.
Internet devient la propriété des annonceurs, mais à qui la faute ?
L’une des raisons principales que nous pouvons évoquer sont les critères de référencement des sites internet.
En effet, pour faire face à la recrudescence des sites frauduleux ou complotistes, Google et de nombreux autres moteurs de recherches ont mis en place un critère de référencement basé sur les « backlinks ». L’idée derrière le déploiement de ce critère résultait d’une réflexion simple : pour savoir si un site A et fiable ou non, il faut regarder le nombre de sites externes pointant vers le site A par le biais d’un lien retour (appelé backlinks).
Une idée cohérente certes, mais qui a tué d’une traite les sites et les blogs créés par des particuliers. Par la suite, l’achat de backlinks est devenu légion en web marketing, ce qui a permis à de nombreux sites internet d’annonceurs d’améliorer radicalement leur référencement sans pour autant proposer du contenu honnête et de qualité.
Évidemment, les annonceurs ayant à la fois les moyens humains et financiers de dédier des équipes entières à leur SEO, il a seulement fallut attendre cinq ans avant de voir le web se transformer en une plateforme presque entièrement publicitaire.
Que faut-il retenir de ce constat ?
La majorité des sites internet en ligne sont à visée commerciale
Les sites de presses en ligne reposent grandement sur les annonceurs
Les blogs personnels n’ont quasiment plus aucune visibilité sur les moteurs de recherches
La possibilité d’acheter son « référencement » fausse les résultats. Les annonces sponsorisées via Google Ads et autres plateformes publicitaires viennent amplifier ce phénomène…
Les forums sont remplacés par les réseaux sociaux
Ainsi, l’omniprésence de la publicité sur le web a fatalement eu un impact négatif aux yeux des utilisateurs, de plus en plus lassés par les pop-up invasifs, les contenus publicitaires déguisés en articles informatifs et autres liens trompeurs.
De plus, nous pouvons également évoquer la dégradation progressive des contenus sur le web que nous pouvons cette fois-ci lier à deux facteurs principaux :
La volonté de concevoir un contenu aguicheur pour inviter au clic au détriment de la qualité globale de l’article (dans l’objectif d’augmenter ses statistiques et ainsi, séduire les annonceurs).
L’omniprésence des contenus générés par IA qui viennent entacher une réputation déjà bien ternie du web mondial…
« Nous vivons une apocalypse d’Internet, une tendance déjà amorcée qui apparait soudain au grand jour »
Déclare Jean Cattan, secrétaire général du Conseil National du Numérique.
C’est un phénomène qui inquiète autant qu’il fascine. Mais une chose est sûre, les contenus générés par IA sont une véritable menace pour le web moderne et pour plusieurs raisons :
La frontière entre le réel et l’artificiel est plus que jamais menacée. Ce qui représente un véritable risque pour la crédibilité du média ;
Les utilisateurs d’Internet désirent des contenus authentiques et se méfient de plus en plus des contenus IA ce qui pourrait ruiner définitivement le média internet si aucun effort de modération n’est fait d’ici là par les moteurs de recherches.
« Il existe un tas de comptes qui génèrent des contenus de basse qualité en utilisant l’IA pour synthétiser des informations puisées ailleurs afin de monétiser de l’audience le plus souvent au mépris du droit d’auteur, en plagiant Wikipédia ou d’autres pages… Ces sites sont juste destinés à capter des revenus publicitaires en générant du contenu poubelle à la chaîne, grâce à L’IA« .
Extrait d’une interview de Félix Tréguer, chercheur associé du Centre Internet, un laboratoire du CNRS, qui étudie l’impact de l’IA sur la société.
Aussi, ajoutons que les contenus générés par IA, en plus de ne pas respecter la notion de propriété intellectuelle sont bien souvent de faible qualité et sont reconnaissables principalement par leurs biais et autres tics de langage. Paradoxalement, Internet qui se voulait être un média fait par des humains pour des humains devient un espace envahit de robots, ce qui participe à l’artificialisation de l’espace public numérique.
Face à ces réactions en chaîne, les utilisateurs commencent à déserter fortement les moteurs de recherche au profit des réseaux sociaux. Seul problème, les réseaux sociaux sont concernés par absolument les mêmes problématiques. Pourtant, les plateformes sociales profitent encore d’un semblant d’authenticité (une authenticité monétisée tout de même) qui rassure encore certains utilisateurs, mais jusqu’à quand ?
Création de contenu avec l’intelligence artificielle : quelques chiffres pour comprendre l’ampleur du phénomène
Sur le Wikipedia anglo-saxon, déjà 5% des nouveaux articles sont générés par IA avec des contenus de moins bonnes qualité, erronés, partiaux ou publicitaires ;
Plus de la moitié des textes de plus de 100 mots postés sur Linkedin sont produits par IA;
Une étude publiée en 2024 montre qu’au moins 60 000 articles scientifiques publiés en 2023 avaient bénéficié d’un coup de pouce de l’IA ;
Au total, on estime que 57% du contenu texte en ligne mondial est le fruit d’une production artificielle… Et cette tendance est en constante augmentation.
Le paradoxe du contenu généré par IA
Les IA puisent l’information sur le web. Mais si le web devient in fine, lui-même le produit de l’IA, d’où viennent finalement ces informations et surtout, peut-on si fier ? Rien n’est sûr.
Finalement, Internet est-il encore un média libre ? (Et l’a-t-il déjà été ?)
Concrètement, on pouvait considérer Internet comme un média libre et indépendant à son départ pour trois raisons :
Tout le monde pouvait publier sur Internet sans limitation aucune ;
L’absence totale de modération et de législation à ses prémisses ;
Un algorithme basé sur les mots-clés et la popularité naturelle uniquement ;
À ce jour, au vu du constat dressé plus haut, il est compliqué de considérer Internet comme un média libre au sens propre du terme. Certes, tout le monde peut encore publier du contenu gratuitement dans l’anonymat le plus total, mais il est cependant presque impossible de se construire une visibilité à grande échelle tant les algorithmes sont désormais complexes, obscures et réservés à un public d’initiés (souvent des spécialistes du marketing digital). Par ailleurs, le web dépend aujourd’hui des revenus publicitaires, ce qui vient fragiliser davantage l’indépendance initiale du média.
Pour résumer, répondons aux quatre pilliers centraux promis par le média Internet à son lancement :
Internet est-il toujours neutre ?
On peut sans trop se mouiller affirmer qu’aujourd’hui, les GAFAM ont mainmise sur l’ensemble des infrastructures qui font internet. Ces plateformes occupent des positions monopolistiques qui font peser une pression forte sur la supposée neutralité du net.
Internet est-il toujours gratuit ?
L’utilisation des moteurs de recherches et des réseaux sociaux est pour l’instant encore gratuite. Mais jusqu’à quand ? Il n’est pas impossible d’imaginer sur du court terme des fonctionnalités payantes visant à optimiser l’efficacité de ces plateformes. C’est le cas de Youtube (propriété de Google) dont la version gratuite est devenu insupportable pour un bon nombre d’utilisateurs (avec des placements publicitaires omniprésents).
À partir de ce constat, on pourrait tout à fait s’imaginer des expériences utilisateurs dégradées volontairement par les plateformes afin d’inviter les utilisateurs a opter pour des versions payantes. De nombreux sites internet, notamment les presses en ligne optent pour ce modèle.
Aussi, les créateurs de contenu se dirigent également de plus en plus vers des médias sociaux qui leur permettent d’être rémunérés par les utilisateurs. Il est donc indéniable que le web tend à se monétiser et que le contenu gratuit et qualitatif finira par se faire rare, voire inexistant.
Vers la fin de l’hypertexte ?
C’est un fait. On ne navigue plus autant sur le web.
Si autrefois, chacun d’entre nous prenait plaisir à cliquer de lien en lien pour tuer le temps, il faut avouer que cette pratique se perd majoritairement. En cause ? Les réseaux sociaux d’une part, qui occupent une majorité de notre temps en ligne mais pas seulement. Les moteurs de recherches, en proposant des extraits de réponses viennent à leur tour transformer notre usage du web. Ainsi, en ayant accès à des réponses courtes en un coup d’oeil, nous perdons petit à petit l’habitude d’approfondir nos recherches en navigant de lien en lien.
Un internet de moins en moins mondial ?
Aussi, comme n’importe quel autre média, Internet fait aussi l’objet de contrôles étatiques plus ou moins légitimes. On constate alors un internet ultra-surveillé et censuré dans certaines régions du monde ce qui renforce l’idée que le web, comme tout autre moyen de communication peut voir son contenu dirigé par des autorités supérieurs. Résultat, le web de France n’a rien à voir avec le web des USA, de la Chine, ou encore de l’Arabie Saoudite. Preuve que le caractère mondial d’internet est définitivement enterré.
La grande désillusion d’internet ne fait finalement que commencer
Quand on voit les problématiques rencontrées par le média Internet, nous sommes en droit de nous poser la question suivante : est-ce le début d’une agonie lente et douloureuse pour le web 2.0 ?
Sans tomber dans une analyse dramatique, rappelons qu’il est évident qu’Internet a encore de beaux jours devant lui et qu’il représente un média universel, utilisé par tous les genres et tous les âges. Par ailleurs, on peut aussi largement considérer qu’internet est le média le plus utilisé par les français pour le travail, mais aussi le divertissement. Difficile donc de nier sa puissance et sa résonance partout à travers le monde.
Tout de même, nous ne pouvons pas non plus nier les nombreuses limites de cet outil autrefois révolutionnaire, aujourd’hui banal et critiquable. Mais après tout, n’est-ce pas le sort de tous médias ?
Avant Internet, rappelez-vous, c’était la télé qui devait mourrir, avant ça encore, la radio… et aujourd’hui Internet. Forcés de constater qu’aucun de ces médias n’a disparu et qu’ils ont simplement évolués pour s’adapter au monde moderne et c’est probablement ce que fera Internet.
En réalité, ce que cela dit de nous et de nos sociétés, c’est que nous avons tendance à nous jeter pleinement et les yeux fermés dans l’usage de nouvelles technologies sans mesurer l’ampleur des transformations que celles-ci vont apporter à notre quotidien. Cette remarque est d’ailleurs applicable aux intelligences artificielles qui, de manière assez surprenante, ont très vite étaient approchées de manière critique. Certainement à cause de l’imaginaire collectif influencé par les productions culturelles américaines dans lesquelles les IA sont souvent représentées comme l’incarnation d’une société déshumanisée et dystopique.